L’étrange douceur

Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m’éveillait

Comme un oiseau dans la tête
Le sang s’est mis à chanter
Des fleurs naissent, c’est peut-être
Que mon corps est enchanté

Que je suis lumière et feuilles
Le dormeur des porches bleus
L’églantine que l’on cueille
Les soirs de juin quand il pleut

Dans la chambre un ruisseau coule
Horloge au caillou d’argent
On entend le blé qui roule
Vers les meules du couchant

L’air est plein de pailles fraîches
De houblons et de sommeils
Dans le ciel un enfant pêche
Les ablettes du soleil

C’est le toit qui se soulève
Semant d’astres la maison
Je me penche sur tes lèvres
Premiers fruits de la saison.

René-Guy CADOU, Hélène ou le règne végétal, Paris, Seghers 1952

Un des plus beaux chants d’amour de la poésie française !

Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires
Dans les années de sécheresse, quand le blé
Ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps

Je t’attendais, et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s’en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais

Tu ne remuais encor que par quelques paupières,
Quelques pattes d’oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou

Et pourtant c’était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m’éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d’astres qui se levaient

Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu’un vin nouveau,
Quand les portes s’ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues

Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon cœur durerait jusqu’au temps de toi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.

Extrait de: 1951: Hélène ou le Règne Végétal, (Seghers)

les amoureux Marc Chagall


  • Derniers jours d’août, bientôt la rentrée.. peut-être le bon moment pour partager avec vous ces magnifiques poèmes d’amour de René Guy Cadou, le poète enseignant, dédié à Hélène la femme de sa vie… Douce semaine, Eveline56

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Auteur : Dans l'oeil d'une flâneuse Bretonne....

L'âme de la Bretagne est en moi, j'y suis née et je vis là près de l'océan…

21 réflexions sur « L’étrange douceur »

  1. C’est magnifique…
    C’est toujours un grand bonheur de lire ces vers que tu sélectionnes afin de les partager avec nous.
    Merci
    Belle fin de journée

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